par Gilles Gauvin, historien, Stéphane Nicaise, anthropologue
Le mercredi 28 novembre 2018, lors de l’arrivée de la ministre des outre-mer, Annick Girardin, sur le barrage de Gillot, le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, symbole de la souveraineté nationale, flottait au-dessus de la foule. On pouvait également voir brandi « Lo Mahavéli » dont l’usage populaire a fait le drapeau de La Réunion. Cette diversité identitaire, assumée sur le plan symbolique sans exclusion ni violence, figurait l’idéal de la Nation française, riche de ses composantes. Elle invite également à réfléchir au lien qui existe entre la souveraineté populaire (le suffrage universel et ses aléas) et la souveraineté nationale (représentée par un Etat républicain stable) à travers le système de démocratie représentative.
Par le suffrage universel, le peuple délègue à ses représentants la gestion de la vie publique. Cette délégation n’équivaut pas à un chèque en blanc fait aux élus leur permettant de disposer des biens publics pour leurs propres intérêts. D’où, à chaque renouvellement des mandats électifs, l’obligation pour les sortants de rendre compte de leur gestion au service de l’intérêt général. Et déjà, au cours de leurs mandats, un contrôle est exercé par les corps intermédiaires de la société (Cour des comptes, conseils consultatifs, syndicats, associations…) et peut prendre des formes diverses (décisions de justice, grèves, manifestations, pétitions…).
Par ailleurs, cette part représentative de la démocratie s’équilibre de sa part directe. Ce sont toutes les formes de consultation que les différentes collectivités (communes, département, région) ont la possibilité d’organiser sur des projets précis. A l’échelle nationale, cette consultation peut prendre la forme d’un référendum qui dans l’histoire de la Ve République a souvent pris la forme d’un plébiscite pour ou contre le pouvoir. Force est de constater cependant que ceux qui exercent la démocratie représentative ont tendance à se dispenser d’activer régulièrement la démocratie directe. Il est plus simple pour eux d’attendre l’échéance électorale pour rendre compte de leur gestion. De fait, l’habitude n’a pas été prise, chez la plupart des élus, de prendre souvent l’avis des administrés.
Néanmoins, lorsque la ministre s’est présentée aux Gilets jaunes pour dialoguer avec eux, personne à ce moment-là n’a remis en cause la démocratie représentative. Ce qui a été contesté avec virulence, c’est la qualité des hommes et des femmes actuellement en charge d’exercer cette démocratie représentative. D’où l’exigence exprimée par les Gilets jaunes de pouvoir mieux contrôler les élus à travers une participation directe à la gestion des affaires publiques tout au long du mandat de ces derniers et pas uniquement lors des échéances électorales.
Reste entière la question de donner toute sa part à la démocratie directe. Non pas en la positionnant en concurrence ou en exclusion de la démocratie représentative, mais bien en complémentarité, comme les deux jambes qui nous permettent de nous tenir debout et d’avancer. Et c’est bien cela que nous voulons tous : avancer ensemble.
Et dans cette perspective, nous avons entendu résonner fortement le verbe « innover », apparu dans les lieux de concertation avec les Gilets jaunes, et plus largement avec d’autres citoyens intéressés à vivre la démocratie de manière plus active. Oui, innover. Innover pour donner à la part de la démocratie directe toute sa force d’équilibre nécessaire à contrebalancer le poids de la démocratie représentative, et ainsi permettre le mouvement. Ces deux jambes ont besoin l’une de l’autre pour être opérationnelles. Leur lien organique est bien ce qui nous permettra de co-construire une nouvelle perspective commune.