
Suite à la profanation de la statue de la Vierge Marie le 11 mars 2025, une messe de réparation a été donnée à 18h30 le vendredi 14 mars à l’église Notre-Dame de la Délivrance à Saint-Denis, précédée d’une bénédiction de la statue. Un temps de prière fervente sous le signe de la paix et du pardon. Nous publions ici deux textes : un résumé de l’homélie de l’évêque et sa version complète.
VERSION COMPLÈTE de l’homélie
Nous venons de passer d’un cyclone à un autre. Garance est le premier cyclone violent affronté par la jeune génération. Il a créé un traumatisme direct et indirect, et nous continuons à porter dans nos prières les personnes impactées, les personnes décédées et leur famille afin que Dieu donne force, courage et consolation au fil du temps. Nous pensons aussi aux enfants et au personnel éducatif qui ne pourront pas reprendre le chemin de l’école lundi prochain.
Ensuite, un autre cyclone religieux et médiatique est venu troubler nos esprits déjà fortement malmenés : le manque de respect envers notre maman du ciel la Vierge Marie ici à la paroisse Notre-Dame de la Délivrance, à Saint-Denis. Nous sommes venus ce soir chercher auprès de Dieu paix et pardon.
Je vous propose les pistes de réflexion et de méditation suivantes :
1 – Provocation ; 2 – Non au bouc émissaire ; 3 – Heureux de vivre avec » ; 4 – Heureux avec Marie et Joseph.
1 – Provocation
Un bien public et religieux a été dégradé, cette mise en scène a été diffusée sur les réseaux sociaux. Dans le cadre de la protection de la société civile, il est normal que la loi sanctionne certains comportements et notamment ceux qui se donnent en spectacle, froissant ainsi les sensibilités. Les causes sont à identifier : un mal-être de jeunes, une société hyper-médiatisée où l’on vit sa vie par écran interposé pour être reconnu et exister, des réseaux sociaux qui sont utilisés pour diffuser en boucle de façon malsaine des gestes scabreux qui reflètent cette addiction moderne qu’est la pornographie.
Comment les réseaux sociaux peuvent-ils aussi mettre une limite à certaines diffusions pour ne pas aggraver les choses ? Je prends un exemple dans le domaine du football : il arrive que tel supporter se donne en spectacle en courant sur la pelouse pendant le match. Le journal télévisé montre la scène une fois, mais pas indéfiniment, afin de ne pas favoriser une telle publicité.
Pour sa part, le pape François, dans son discours du 25 janvier 2025 au Jubilé des communicants et des journalistes, précise : « Lorsque vous racontez le mal, laissez la place à la possibilité de réparer ce qui est déchiré, au dynamisme du bien qui peut réparer ce qui est brisé… Le mal doit être vu pour être racheté, mais il doit être bien raconté pour ne pas user les fils fragiles de la coexistence ».
D’autre part, avons-nous repéré que cet événement grave s’est produit au début du carême, au lendemain du premier dimanche de Carême catholique ? Dans l’Évangile de dimanche dernier qui raconte l’action du démon contre Jésus, celui-ci affronte trois tentations fondamentales qui veulent détruire l’être humain. L’une d’elle est résumée par la figure symbolique du paon : se faire voir, se donner en spectacle. Le démon conduit Jésus à Jérusalem, au sommet du Temple et lui susurre à l’oreille : « Jette-toi en bas, car il est écrit : Dieu donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder : et encore : ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre ». Ce que nous venons de connaître coïncide malheureusement avec cette tentation.
L’Évangile nous révèle de façon admirable comment fonctionne l’être humain, ses forces et ses faiblesses, et le désir de Dieu de le sauver : Jésus montre qu’il est plus fort que le démon qui essaye de gâter ce début de carême. Nous vivons alors un combat spirituel contre nous-mêmes afin de ne pas nous laisser être contaminés par l’autre tentation plus destructrice du démon, qui s’appelle la violence et la loi du plus fort, symbolisées dans notre spiritualité chrétienne par l’aigle ou le papangue ou le requin péi.
La psychologie humaine nous révèle d’ailleurs que la violence n’est pas seulement causée par l’autre, mais aussi par nous-même. Le psychiatre américain Stephen Karpman explique que chacun de nous est à la fois bourreau (je te fais du mal), victime (tu me fais du mal) et sauveur (je viens à ton aide). C’est le triangle social toxique, et le père Pascal Ide, dans son livre Le triangle maléfique, sortir de nos relations toxiques, analyse ces situations et propose des solutions. C’est la deuxième piste de notre méditation.
2 – Non au bouc émissaire
Il est facile de jeter la pierre sur l’autre. Jésus avait déjà vécu ce piège lorsque ses ennemis lui demandent de condamner et de faire tuer à coup de galet une femme adultère (Jean 8). Jésus répond : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Et tous se retirèrent en commençant par les plus anciens. L’événement qui nous rassemble ce soir est traversé par deux expériences : l’exigence de justice et de vérité ; l’amour et la paix. Ce sont deux attitudes mentionnées par le poème de la vie – le psaume 84 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».
La justice : nous ne sommes pas naïfs sur ce qui s’est passé. La police et la justice font leur travail. La paix : de la part de l’Église, nous condamnons tout lynchage et toute chasse à l’homme. Nous avons commencé un carême : celui-ci a pour but de faciliter l’union avec le cœur d’amour de Jésus, son Sacré Cœur. C’est la conversion et la purification qui ne se vivent certainement pas en tombant dans une autre violence. Dieu lui-même attire notre vigilance sur notre comportement au début du carême en des mots clairs et fermes, tel qu’il l’exprime par le prophète Isaïe dans la première lecture du premier vendredi de carême la semaine dernière :
« Ils (mon peuple) me demandent des ordonnances justes,
Ils voudraient que Dieu soit proche…
Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien vos affaires
Et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous.
Votre jeûne se passe en disputes et en querelles,
En coups de poing sauvages ».
Et Dieu termine en disant que le jeûne qui lui plaît, ce sont les actions de paix et de charité. En d’autres mots, notre bonheur, c’est de vivre ensemble, vivre avec, c’est notre troisième piste de méditation.
3 – Heureux de vivre avec
Un des jeunes concernés et sa famille sont venus me rendre visite ce matin afin de s’excuser sincèrement. Je leur ai répondu que Dieu pardonne à celui qui se repent. Cette famille est une famille créole catholique. Certains réseaux sociaux ont pointé du doigt d’autres types de personnes. Laissons encore une fois la justice faire son travail pour savoir qui a fait quoi. Ensuite, je répondrai en soulignant que les processus d’intégration sont lents. Pensons à nos aînés et à nos ancêtres qui ont immigré de façon forcée ou humble dans notre belle île. Au fil du temps, nos familles ont progressé socialement. Pour d’autres personnes aujourd’hui, l’ascenseur social pourra aussi fonctionner.
Les responsables de notre société le savent tout autant : c’est un enjeu sociétal. Celui-ci peut progresser grâce à la méthode de « l’éducation populaire ». Nous nous trouvons en effet devant le défi de tout parent : comment bien éduquer les jeunes ? Saint Jean Bosco, prêtre italien spécialiste de l’éducation, disait : « Aimer nos jeunes qui ont des problèmes ». Aimer ne signifie pas être laxiste et tout accepter, mais être ferme dans l’amour.
Comment ? Un proverbe bien connu l’exprime : « Donne un poisson à un homme, il mangera une journée. Apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie ». La méthode de l’éducation populaire ne consiste pas à mettre en œuvre seulement des animations de quartier, ni à donner des leçons à des parents, mais les aider à identifier avec eux les questions, les problèmes et les solutions. La personne est donc impliquée de manière nouvelle, active et créatrice dans sa parentalité. L’éducation populaire mérite donc d’être davantage encouragée et soutenue.
Enfin, deux personnes sont là en permanence pour nous aider.
Ce sera le dernier point de notre partage.
4 – Heureux avec la Vierge Marie et saint Joseph
Le vitrail central au-dessus de l’autel de cette église montre le beau visage et le doux sourire de notre maman du ciel, Marie, qui ferme les yeux. Elle écoute attentivement les messages de Dieu, les plaintes du monde et accueille les prières de ses enfants. Elle nous aime infiniment, quels que soient nos actes. Elle nous a été donnée par Jésus pour être aussi notre Mère du ciel, avec notre mère biologique. Nous nous confions spécialement ce soir à elle pour retrouver plus de paix et aller de l’avant.
Nous nous confions aussi à son époux saint Joseph dont c’est la fête dans quelques jours. Avec notre papa biologique, Dieu nous donne aussi saint Joseph pour être notre papa. Il a sauvé Jésus bébé de la mort, il est tout aussi présent à nos côtés : « Saint Joseph, prie pour nous dans nos soucis de santé, de travail et de famille ».
C’est dans la prière et dans cette messe que nous offrons à Dieu ce qui nous traverse, comme l’exprime le psaume 129 de ce jour : « Des profondeurs je crie vers toi Seigneur, Seigneur écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ».
La paix n’est pas d’abord une construction humaine, mais un cadeau et une inspiration de Dieu qui offre ce qu’il est lui-même : la paix et l’amour.
VERSION RÉSUMÉE de l’homélie
Une provocation grave
Les actes commis envers la statue de la Vierge Miraculeuse le 11 mars sont une provocation grave qui ne peuvent pas rester impunis. Suite au dépôt de plainte, des sanctions judiciaires seront prononcées à l’encontre des auteurs de cette profanation. Nous devons respecter et faire confiance au travail de la police et de la justice.
1 - Cet événement révèle des fléaux de notre société que nous devons combattre
Se donner en spectacle dont les causes psychologiques sont à rechercher dans une société hyper médiatisée qui relaie en boucle de façon malsaine de telles vidéos.
Le désir d’attention et d’amour pousse aussi parfois à recourir à la violence de façon problématique, ce qui fait naître et nourrit le sentiment d’injustice chez les personnes victimes de ces actes.
Dans son discours aux communicants et journalistes lors du Jubilé de la communication du 27 janvier 2025, le pape François demande :
« Lorsque vous racontez le mal, laissez la place à la possibilité de réparer ce qui est déchiré, au dynamisme du bien qui peut réparer ce qui est brisé. Le mal doit être vu pour être racheté, mais il doit être bien raconté pour ne pas user les fils fragiles de la coexistence ».
Les gestes obscènes qui reflètent l’addiction contemporaine à la pornographie, nouvel esclavage.
2 - Et pourtant bannir le lynchage et le défoulement vers des boucs émissaires
De tout temps et de manière particulière pendant le Carême, Dieu ne cesse d’attirer notre vigilance sur notre propre violence intérieure :
Il demande au prophète Isaïe de dénoncer la révolte et les péchés de son peuple : Ils voudraient que Dieu soit proche, connaître ses chemins mais « [Leur] jeûne se passe en disputes et querelles, en coups de poing sauvages. Ce n’est pas en jeûnant comme [ils le font] aujourd’hui qu’[ils feront] entendre là-haut [leur] voix », prévient Dieu. (Livre d’Isaïe, 58, 1-14)
En toute situation, nous attendons d’une personne adulte qu’elle sache se contrôler, qu’elle se purifie de ses instincts primaires et de ses violences, surtout pendant le Carême qui est un temps de conversion et de paix.
3 – Construire sans cesse le « vivre-avec réunionnais »
Nos aînés sont venus à La Réunion de manière forcée ou humble. Il a fallu du temps pour s’intégrer socialement, pour d’autres personnes aujourd’hui aussi il faut du temps, c’est un long processus qui fait appel à notre ingéniosité collective, sociale et associative, culturelle, spirituelle et religieuse.
Nous ne sommes pas naïfs : la justice doit faire son travail. C’est l’exigence de vérité. Et en même temps, comment nous aider les uns les autres à grandir humainement ? Ce double enjeu est résumé par le Psaume 85 :
« Amour et Vérité se rencontrent,
Justice et Paix s’embrassent ;
La Vérité germera de la terre,
et des cieux se penchera la Justice ».
Chacun à titre personnel et aussi collectivement, nous pouvons prendre notre part, par exemple en valorisant la méthode de l’éducation populaire : aider l’autre à être acteur dans le processus de sa propre insertion, et dans la construction de son chemin de vie, comme l’enseigne ce proverbe bien connu : « Donne un poisson à un homme, il mangera une journée. Apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie ».
4 – Se confier dans la prière
Enfin, il est nécessaire de continuer sans relâche à confier dans la prière toutes nos peines, les personnes impliquées et blessées par ces récents événements. Demandons avec foi à notre maman la Vierge Marie de nous entourer de sa tendresse infinie, elle qui continue à aimer ses enfants quels que soient leurs actes.
Confions-nous aussi à la prière de saint Joseph, notre papa du Ciel dont c’est la fête dans quelques jours le 19 mars. Qu’il nous aide à ne pas céder au cercle vicieux de la violence, et à faire face dans la paix à nos soucis de famille, d’éducation, de travail.
Mgr Pascal CHANE-TENG
Évêque du diocèse de Saint-Denis de La Réunion