« De la conviction et du zèle » (1)
Article mis en ligne le 14 mai 2019

par Mgr Gilbert Aubry

Homélie prononcée par Mgr Gilbert Aubry aux obsèques du père André Mayer (diocésain), le 10 mai 2019 à la chapelle de la Providence, Saint-Denis.

Chers frères prêtres,
Chers frères diacres,
Chères religieuses,
Chers frères et sœurs en Jésus-Christ,

En avril 2012, André Mayer avait demandé à quelques amis de se retrouver parce qu’il voulait « revoir nos visages ». Il était alors habité par l’idée de la mort. La rencontre a eu lieu le 8 mai 2012. Il est décédé le 8 mai 2019. Coïncidence. Je dirai plutôt Providence. Providence de Dieu qui s’est manifestée pour lui en ce lieu de la Providence.

Revenons à André. Il est né le 29 juin 1922 à Saint-Denis. Il aurait eu 97 ans cette année et il était notre aîné à tous. Et puis, il a passé son enfance à Bois-Rouge. La maison de son père était tout près de l’usine sucrière. Laissons la parole à André :

 L’enfance

« Au temps de mes dix ans j’allais à l’école à Saint-André, avec les autres enfants qui s’y rendaient aussi. Nous allions le matin, nous revenions le soir. L’aller et le retour se faisaient en break. Selon qu’il s’agissait de l’aller ou du retour, mon état d’âme était tout différent. Je n’aimais pas aller en classe. J’y allais, l’âme assombrie, même quand le soleil brillait sur les cannes. Par contre, au retour, j’avais l’âme ouverte aux impressions des choses.

« J’attendais le moment de revoir la mer au-dessus des cannes. Heureux moment d’abandon à l’attrait que le large exerçait sur moi ! L’aura des lointains bleus mettait du rêve dans mon regard. Je me voyais Capitaine sur un bateau faisant le tour du monde. Je rêvais d’être marin, pourquoi pas Capitaine ?

« En réalité, ça commençait mal. Je passai mon certificat d’études à l’âge de douze ans. Je le ratai, bien entendu. Qu’avais-je appris ? Les livres ne m’intéressaient pas. Après le certificat d’études, mon père décida de me mettre au lycée de Saint-Denis comme interne. Mon frère Georges, mon aîné de deux ans, y était déjà. De lycée, à cette époque là, il n’y en avait qu’un : le Lycée Leconte de Lisle.

« Mon père me fit entrer en 6e A. Je devais donc « faire du latin ». En ce temps là je ne me posais pas la question que je me pose aujourd’hui : « Qui au juste oriente notre vie vers sa fin ? »

Le latin et lui c’était deux. Les études tout court. Il était là comme l’oiseau en cage et son esprit passait par les fenêtres. En 4e, il a fallu apprendre le grec. Pendant trois mois, il a réussi à faire croire que son père ne voulait pas qu’il fasse du grec. Le subterfuge est découvert. Son père est convoqué. André veut l’embrasser. Le père : « Non je ne t’embrasse pas ! Qu’est-ce que je j’apprends ? Tu es un menteur. Et puis quoi encore ? » Menaces du père et du surveillant. Alors le petit André de la classe de 4e lance avec rage : « Assez ! ou alors je me tue ! » Le surveillant et le père se concertent. Le père qui déclare à voix haute : « Qu’il ne fasse pas de grec mais donnez-lui une punition sévère pour sa conduite ». Rêveur et poète, André Mayer ? Certainement. Mais quel caractère déjà... quelle trempe !

 Fusilier marin

André quitte la classe de seconde. Il travaille à l’imprimerie Cazal où son frère Georges l’introduit. Il n’est pas fait pour ça. Il a vingt ans. Il tombe amoureux d’une fille ; romantique mais ne pense pas au mariage. On est en plein dans la Seconde guerre mondiale. Il se fait engager comme volontaire dans le service de la Marine. Il est responsable de la Vigie à la Montagne et le 28 novembre 1942, vers une heure du matin, c’est lui qui donne l’alerte quand le navire de guerre Le Léopard s’approche vers la rade de Saint-Denis. La Réunion bascule alors de Pétain à De Gaulle. Ce qui vaut à l’équipe de la Vigie d’être sérieusement malmenée pendant une courte période. André est sous la menace directe d’un revolver. Les regards parlent. Les deux hommes face à face se maîtrisent. André est embarqué pour un interrogatoire à la Préfecture. Finalement, il est renvoyé libre.

André, engagé volontaire, est appelé effectivement dans la Marine. Direction Tamatave, formation de fusilier marin, puis Diégo (Antsiranana). Il devient instructeur formateur. 1945 l’Armistice. 1946 retour à La Réunion. Il reprend son travail à l’imprimerie. Le cœur n’y est plus. Il ne s’intéresse plus à rien.

 La vocation

Il tombe malade et raconte lui-même sa rencontre avec le Christ. Ecoutons- le : « Un après-midi de décembre 1946, j’étais malade. J’étais sur mon lit dans ma chambre. Le temps était lourd ; il faisait chaud. De grands nuages blancs s’étiraient lentement dans le ciel, remplissant l’air de leur réverbération. Je les suivais du regard. Au bout de quelque temps, fatigué d’être allongé sur le dos, je me tournai de côté. C’était du côté où se trouvait une petite table qui me servait de bureau. En me tournant, mon regard s’arrêta sur un livre qui était sur la table. Habituellement, il n’y avait pas de livre là. Mon frère Georges en venant me voir avait dû déposer le livre et l’avait oublié en partant. Cet après-midi-là le désir me prit, dès que je le vis, de le prendre. Je me levais ; je le pris ; je m’allongeai de nouveau et j’ouvris le livre à la première page. Je lus : « Évangile selon saint Mathieu ». Ma lecture se fit d’abord au hasard des pages que je tournais. Ce que je lisais m’intéressa rapidement. Je me rappelai avoir entendu telle ou telle parole à l’église le dimanche. Mais je n’avais jamais lu un évangile dans son ensemble. Cet après-midi là je me mis à lire quelques chapitres de l’évangile que j’avais entre les mains. Je lisais des yeux, en silence. Bientôt quelques paroles de Jésus captivèrent mon attention. C’était bien moi qui les lisais, mais j’avais l’impression qu’elles me faisaient entendre une voix. « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le au grand jour : ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits » (Mat. 10, 26- 27). Ma lecture s’arrêta sur ces deux phrases et tantôt l’une, tantôt l’autre, se répétait en moi avec un accent de confidence et d’intimation. J’étais surpris par l’impression d’entendre une voix. Je restai perplexe pendant un bout de temps. Puis, le livre refermé, je le remis sur la table. Je retrouvais ma chambre et son atmosphère comme après une longue absence. Il n’y avait rien de changé, ni dans la pièce, ni dans la maison, ni en moi-même apparemment. Le cours des choses était le même. Les bruits familiers de la maison se faisaient entendre. Les nuages continuaient de passer en convoi. Ma pensée n’avait ni couleur ni relief. Je sombrai dans le sommeil. « Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui jette la semence en terre : qu’il dorme ou qu’il soit debout, le nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (Marc 4, 26-27). »

 France et retour à La Réunion

Mais André ne fréquente pas l’Église. Il devient énigmatique, ne sait pas que faire, que choisir. Son âme subissait d’étranges remous et des sentiments contraires. Son frère Georges va le secouer : « Décide-toi enfin ! Ou bien tu te maries ou tu entres au séminaire. » Georges et le Père de Robillard finissent par parler de André à Monseigneur de Langavant qui va l’embaucher à recopier des actes de baptêmes à l’évêché et autres papiers. André découvre l’adoration eucharistique et l’importance de l’Église. Monseigneur de Langavant repère l’intériorité du jeune qui évolue. Il l’envoie au séminaire de la Ressource pour parfaire sa formation de base puis comme professeur d’Histoire-géographie au petit séminaire de Cilaos.

Ce sera ensuite le séminaire de Saint-Ilan en Bretagne puis à l’ouverture de Croix-Valmer en 1952. Il fera groupe avec les séminaristes de La Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de l’île Maurice et de la Guyane. André se fait remarquer par sa régularité, sa piété, sa rigueur, son désir d’en savoir plus. Il y est ordonné prêtre le 25 février 1956 et rentre à La Réunion la même année.

Ses débuts dans la pastorale sont difficiles. Il écrit à Monseigneur de Langavant qui l’encourage et lui fait confiance. Nous voyons André, curé de Saint-Pierre puis curé des Avirons en 1957 – Directeur du Foyer Levavasseur en février 1958 faisant équipe avec le P. de Guigné et le P. Francis Hoareau. Il passe ensuite au petit séminaire de Cilaos en 1961. C’est là que je ferai sa connaissance. J’ai 19 ans et lui 39. C’est de cette époque que date la germination de notre amitié. Il est curé de Dos d’Âne, Sainte-Thérèse, Rivière des Galets de 1963 à 1965 et réside à Dos d’Âne, faisant la route avec sa 2 CV Citroën. Il est curé des Lianes en 1965 et la même année, aumônier du lycée du Tampon. C’est lui qui lance l’aumônerie. Il y reste pendant quatre ans et il est apprécié. De 1965 à 1967, il sera curé intérimaire de Saint-Gilles les Hauts. Puis en 1971, il devient curé de Vincendo. C’est alors qu’il écrit à Monseigneur Guibert : « Je suis prêtre et je pense que je le suis avec joie et passion. Mais je dois avouer que je suis inapte à administrer une paroisse, autrement dit, inapte à être un curé. Je suis incapable de tenir des comptes. » Monseigneur Guibert l’encourage.

 Secrétaire de l’évêque puis aumônier des Filles de Marie

En 1976, je suis nommé évêque et je demande au Père Mayer de devenir mon secrétaire. Nous nous sommes très bien entendus. Ses notes étaient précises. Les comptes rendus des réunions du Conseil épiscopal étaient émaillés d’anecdotes savoureuses sur les réflexions d’un tel ou d’un tel. Ses comptes rendus qui ne manquaient jamais de charité étaient appréciés de tous les conseillers. Cependant le téléphone le fatiguait. Il avait besoin d’un rythme moins saccadé et où il aurait pu rencontrer les gens. Je l’ai nommé curé de Saint François où il a été aidé fraternellement par sœur Fernande Cazal de la Congrégation de Saint Joseph de Cluny. Donc, curé de Saint François de 1981 à 1996.

Et puis je l’ai nommé aumônier des Filles de Marie au Couvent de la Providence. Pendant douze ans, il a nourri la spiritualité des sœurs par sa personnalité, par ses homélies aux élans provocateurs et prophétiques. Parfois on aurait pu le croire en colère mais c’était de la conviction et du zèle. C’était l’amour de Jéus-Christ et du monde qui a besoin de salut : « Aimez Jésus. Aimez Jésus ». Il souffrait de savoir que Jésus n’est pas aimé et que nous, les consacrés et lui avec, ne réalisions pas la sainteté de notre baptême et de nos consécrations. Et puis est venu son temps de retraite où sœur Marie- Claire, Supérieure générale des Filles de Marie, a souhaité le garder à la Providence alors que nous réfléchissions à une maison de retraite. J’exprime ici mes profonds remerciements à la Supérieure Générale de la Congrégation et à sœur Marie Georges qui a été pour lui une présence attentive, dévouée et filiale.

Ma dernière rencontre avec André a eu lieu ce 6 mai 2019 dans l’après-midi. Nous étions heureux de nous revoir. Je sentais qu’il fallait le faire parler sur un épisode de sa vie où il s’était surpassé. Je lui ai fait raconter sa traversée à la nage du goulet de la rade de Diégo. Il était avec un autre militaire qui voulait rebrousser chemin alors qu’ils avaient parcouru la moitié du trajet. « Pas question ! On a commencé, il faut aller jusqu’au bout ! »

André a fait la grande traversée de la vie. Le passage. Dieu a été pour lui, qui a été contre lui ? En lui donnant Jésus comme ami qu’il aimait de tout cœur, Dieu lui a tout donné. Les moments difficiles que André a traversés ne l’ont pas arraché à la main de Dieu. Aucun pouvoir, aucune puissance, aucune créature ne l’a séparé de l’amour de Dieu qui est en Jésus-Christ Notre Seigneur.

Je terminerai par la prière que André avait écrite pour ses 25 ans de sacerdoce : « Seigneur Jésus, que serais-je devenu aujourd’hui si Tu ne m’avais pas appelé à Te connaître ? Je veux humblement et fidèlement remercier le Père qui m’a donné à Toi, car je crois à ta parole : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi et celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas (Jean 6,37). Mais c’est Toi qui m’as sauvé et je veux avec Tous les saints chanter éternellement ta Miséricorde. Sans Toi, mon âme serait en proie aux chimères de mon imagination. Ma vie serait sans vie. J’aurais donné dans le paraître et non dans l’être. Merci pour ta lumière : elle me montre la vanité des choses en dehors de Toi. Moi-même, je n’ai de sens qu’en Toi. Cela est clair pour moi. Je courais après la Beauté, la Poésie, l’Amour comme après des biens à saisir pour m’enrichir. Je poursuivais le vent. J’ai mis bien du temps à comprendre que je ne suis pas de la race des grands oiseaux de mer. Par toi, Jésus, je me suis rendu à l’évidence : je ne suis qu’un arbrisseau qui donne un fruit sans prétention. Donne à mon fruit, s’il te plaît Seigneur, la consistance et le goût de Ton amour. »

(1) : cf. st Paul aux Romains –Ch 8 – 31 sq


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