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Couples catholiques et prêtres, ensemble au service de Dieu

Frère Manuel Rivero, o.p., évoque ici les Équipes Notre-Dame dont il est l’Assistant religieux, leur récente retraite, et partage les enseignements qu’il leur a donné.

Article mis en ligne le 22 février 2022

par Fr. Manuel Rivero o.p., O.P. Assistant religieux des Équipes Notre-Dame.

Quelle est la relation entre les laïcs et les prêtres ? Comment distinguer et unir leurs vocations et leurs charismes ?

Pour répondre à ces deux questions, la foi chrétienne nous conduit à la consécration baptismale, commun dénominateur des laïcs et des prêtres. De par leur baptême, les laïcs vivent leur sacerdoce royal (1 Pierre 2,9), sacerdoce commun des fidèles autre que le sacerdoce ministériel des prêtres.

La prière eucharistique III rappelle l’action de l’Esprit Saint dans le sacerdoce des fidèles laïcs qui offrent le sacrifice du Christ au Père ainsi que leur tout leur être à Dieu : « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire ».

Le sacerdoce ministériel des prêtres est au service du sacerdoce commun des fidèles. La charité demeure le mystère le plus important car elle unit à Dieu qui est Amour (cf. 1 Jn 4,16). Dans la théologie chrétienne c’est bien la charité qui établit la hiérarchie entre les personnes. Le chrétien qui aime le plus demeure le plus proche de Dieu.

 Un « comment » et non un « plus »

L’ordination diaconale, presbytérale ou épiscopale représente un « comment » plutôt qu’un « plus ». L’Église, Corps du Christ, ne ressemble pas à une armée avec des généraux, capitaines, sergents et soldats de la troupe. Tous les baptisés, membres du Corps du Christ, sont consacrés « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et appelés à la perfection : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 47). La différence entre laïcs et prêtres se trouve dans leur manière de vivre l’appel universel à la sainteté.

C’est pourquoi saint Augustin mettait en lumière la grâce de son baptême par rapport à l’ordination épiscopale : « Si ce que je suis pour vous m’épouvante, ce que je suis avec vous me rassure. Pour vous en effet, je suis l’évêque ; avec vous je suis chrétien. Évêque, c’est le titre d’une charge qu’on assume ; chrétien, c’est le nom de la grâce qu’on reçoit. Titre périlleux, nom salutaire [1]. »

 Les Équipes Notre-Dame

Fondées par le Père Henri Caffarel (+1996), les Équipes Notre-Dame [2] rassemblent couples et prêtres dans une même recherche de la volonté de Dieu. Le prêtre, assistant religieux d’une Équipe Notre-Dame, participe aux réflexions et aux prières en tant que co-équipier. Sa vocation et sa mission sont très mises en valeur par les couples au sein de l’Équipe qui attend de lui un apport spirituel en harmonie avec sa formation et son charisme de prêtre.

Chaque année, les membres des Équipes Notre-Dame sont invités à se rapprocher de Dieu au cours d’une retraite spirituelle. Cette année, la retraite des Équipes Notre-Dame de La Réunion (France) a eu lieu à Champ Borne les 12-13 février 2022 : oraison et prière de louange, enseignements, catéchèse pour les enfants, messe, temps de détente et de jeux…

Voici le texte des trois enseignements donnés par le frère Manuel Rivero O.P., assistant religieux des END de La Réunion :

Enseignement : Prendre soin de nos blessures. Comment les guérir spirituellement et psychologiquement.

Chacun de nous porte dans son corps, dans son cœur et dans son âme la trace des blessures physiques, affectives et spirituelles.

Que pouvons-nous en faire ? Tout d’abord les reconnaître sans tomber dans la tentation du refoulement ou du déni.

Un jour où je disais à un ami pédiatre qu’il était sûrement difficile de connaître les maladies des enfants qui ne parlent pas, il m’avait surpris en déclarant : « Détrompe-toi, les adultes t’induisent parfois en erreur ! ».

Saint Augustin (354-430), évêque en Afrique du Nord et grand docteur de l’Église, a écrit dans les Confessions : « Nous n’aimons pas que l’on nous mente et pourtant nous nous mentons parfois à nous-mêmes ! ».

Le premier pas consiste à faire un acte de vérité qui rend libre en reconnaissant que des blessures ont marqué mon passé et probablement mon présent.

Je vous invite à faire une démarche concrète en dessinant le fleuve de votre vie sur une feuille format A4 à l’horizontale. Vous pouvez prendre un selfie de votre histoire en traçant une ligne, avec des hauts et des bas, depuis votre naissance jusqu’à maintenant. Il s’agit d’une relecture de votre existence en présence de Dieu et à la lumière de la Parole de Dieu. Vous pouvez signaler sur votre ligne des dates et des événements importants. Vous pouvez aussi reprendre les événements de la Bible pour les appliquer à votre vie : Paradis, paradis perdu, exode, Terre promise, exil, nouvelle naissance, rencontre avec le Christ, guérison des blessures, Pâque (« passage »), résurrection, Pentecôte…

Le Christ agit en médecin des corps et des âmes. Il guérit par son Esprit qui est Amour. Seul l’amour, plus fort que les puissances du mal et du malin, parvient à faire des croyants des créatures nouvelles.

Notre prière se déploie dans un acte de foi : je suis blessé. Je ne peux pas me guérir tout seul. J’ai besoin de la grâce de Jésus. J’ai besoin d’être sauvé. Je lui présente mes blessures cachées et visibles afin que son Amour transforme le fiel en miel, l’amertume en douceur, le repliement en dialogue, le mutisme en partage, les révoltes en confiance, le scepticisme dans la joie d’être sauvé, la routine en créativité.

Dieu peut et veut faire du neuf dans ma vie.

Demande de pardon : La prière devient alors louange pour la bénédiction divine reçue et demande de pardon pour le manque de foi en Jésus, dont le nom veut dire « Dieu sauve », « Sauveur ».

Je pense aussi aux blessures que j’ai pu infliger à d’autres en commençant par mon conjoint. Dans l’échange prévu en couple, j’ouvre mon cœur à l’autre pour lui demander pardon pour les blessures que j’ai pu occasionner. Je lui donne aussi l’occasion de s’exprimer sur les souffrances ressenties et non encore exprimées.

Dans le sacrement du mariage qui est une participation à la grâce pascale, de mort et de résurrection de Jésus le Christ, le conjoint peut crucifier l’autre mais il peut aussi le ressusciter par sa confession de foi, d’amour et de pardon.

Il est possible de lire l’évangile du Bon Samaritain (Lc 10, 25-37). Mon conjoint peut ressembler à ce blessé sur le bord de la route que je ne veux pas voir, car il y a d’autres urgences vécues au nom de grands principes, à l’exemple du prêtre ou lévite qui, en voyant le blessé agressé par des bandits, sont passés outre. Je peux être ce bon Samaritain qui s’arrête et qui prend soin des blessures. Hélas, je peux laisser à d’autres cette mission de Bon Samaritain et pousser mon conjoint vers l’adultère.

Le prochain le plus proche est bien le conjoint. Parmi les souffrances figure la solitude ou plutôt le sentiment d’être mis à l’écart, isolé malgré soi.

Chacun peut devenir blessé-guérisseur, ayant connu des blessures il s’avère plus facile de compatir aux douleurs des autres. Les blessures qui sont des ouvertures comme les plaies du Christ ouvrent alors nos cœurs fermés à la souffrance des proches.

Ressuscité d’entre les morts, Jésus a présenté ses blessures à l’apôtre Thomas et aux dix autres apôtres, Judas s’étant pendu dans son désespoir. Si Jésus a choisi de communiquer avec ses blessures, nous, en bons disciples, nous avons à imiter la communication de notre Sauveur en nous rapprochant des autres par nos blessures.

Quelle est la plainte la plus fréquente des épouses par rapport aux maris ? Le manque de communication ! La femme veut entendre l’homme qu’elle aime. « La femme est fécondée par l’oreille », dit un proverbe africain. Pour l’homme, faire c’est dire. Pour la femme, faire c’est bien, mais elle a besoin de verbaliser les sentiments et le sens des actions. Le silence demeure ambigu. Il convient d’expliciter.

Les époux peuvent réfléchir un moment à leur manière d’échanger. Le conjoint dit-il « je » ou a-t-il du mal à parler de lui-même ? Quel est le contenu et le niveau de la communication (films vus à la télé ; nouvelles ; évolution intérieure, vie de prière et de foi…).

Si le bonheur se trouve dans la communication, le malheur réside dans l’absence de communication. L’appétit vient en mangeant ! Plus la communication se développe et plus les conjoints ont des choses à se dire et à partager.

Les vieux couples conseillent d’aborder les sujets délicats ou pénibles à la fin du repas et non quand le conjoint traverse la porte de la maison, fatigué et affamé !

Prier ensemble soude les familles comme le rappelait la devise d’un programme d’une radio catholique : « Ceux qui prient ensemble demeurent ensemble ».

La prière en couple semble difficile alors que la prière en famille avec les enfants se déroule plus aisément. C’est un défi à relever que de prier en couple en ouvrant son cœur. La prière constitue un grand moment de communication. Et ne pas prier ensemble représente un handicap dans l’union conjugale. La bénédiction de la table donne du sens au travail dans l’action de grâces au Créateur. La prière du soir introduit dans la paix en chassant les peurs et en enlevant les sujets de discorde qui ont pu être vécus dans la journée.

Les conjoints peuvent demander pardon au Seigneur pour leur manque de foi.

Demander de pardon pour les scandales, occasions de chute au sens étymologique, provoqués par des comportements en désaccord avec l’Évangile. Scandale qui amoindrit la foi du conjoint. Scandale qui fragilise la foi des enfants.

Les époux peuvent demander au Seigneur la grâce de croire qu’ils peuvent devenir blessés-guérisseurs dans leur famille.

Enseignement : « Comment développer la confiance en soi, en l’autre, confiance de l’autre en lui-même, en Dieu, en l’Église ».

Saint Augustin enseigne qu’il n’y a pas trois amours : l’amour de Dieu, l’amour des autres et l’amour de soi-même. Il n’y a qu’un seul amour : l’amour de Dieu qui a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous a été donné (cf. Rm 5,5) ; cet amour divin nous donne d’aimer notre prochain comme nous nous aimons nous-mêmes.

Quand notre amour envers Dieu diminue, l’amour conjugal et familial ramollit aussi et nous perdons l’estime de nous-mêmes. En revanche, quand l’amour de Dieu brûle en nous par l’approfondissement de l’Évangile et la grâce de sacrements de l’eucharistie et de la réconciliation, l’amour de nos proches gagne en sincérité et en force. L’Esprit Saint est bien l’union du Père et du Fils au cœur de la sainte Trinité et le ciment de nos relations familiales.

Ce qui est dit sur l’amour concerne aussi la confiance. Il n’y a pas trois confiances : en Dieu, dans les autres et en moi-même. Plus je crois en Dieu et plus je fais confiance aux autres tout en grandissant dans la confiance en moi-même.

Dans l’épître aux Galates (cf. Gal 5,22), saint Paul cite la confiance dans les autres comme étant l’un des fruits de l’Esprit Saint dans l’âme du chrétien.

Nos pensées et nos sentiments sont nourris de projections psychologiques. « Pense le voleur que tous sont voleurs », dit un proverbe espagnol. Nous parvenons à imaginer les défauts de nos proches en fonction de notre expérience du mal et de nos vices. Dieu ne pense pas mal ; ce serait une imperfection. Dieu n’est évidemment pas aveugle mais quand il aperçoit le mal, ses yeux purs et aimants pensent à la possible conversion du pécheur.

La foi en Dieu fonde les relations humaines de confiance. Plus nous nous appuyons sur Dieu et plus nous faisons confiance à autrui. Le mot « amen » provient de l’hébreu avec le sens de « s’appuyer sur quelque chose de solide ». Quand nous disons « Amen » nous ne disons pas « ma foi » mais « Dieu, mon roc, ma citadelle, sur qui je m’appuie ».

Dis-moi où sont tes appuis et je te dirai qui tu es. Sur qui comptes-tu ? Sur Dieu, sur tes richesses, sur ton réseau de relations, sur ton habileté personnelle ?

Ce n’est pas sans raison que la foi figure comme la première vertu théologale. La foi représente une réponse à Dieu qui manifeste sa présence agissante et aimante dans notre histoire. Par l’adhésion de la foi, le croyant entre dans la connaissance de Dieu et il reçoit l’Esprit Saint. C’est ainsi qu’à partir de la foi, le chrétien avance dans l’espérance pour demain et dans la charité, la Vie même de Dieu : « Dieu est amour » (1 Jn 4,16).

Faisons confiance à Jésus à l’exemple de Simon Pierre lors de son appel sur les bords du lac de Tibériade (cf. Lc 5, 1-11). Simon avait peiné toute la nuit sans prendre un seul poisson. Dans la pêche, il y a des jours sans et des jours avec. Alors qu’il est fatigué, le visage pâle, en manque de sommeil, les yeux cernés, Jésus lui dit : « Avance en eau profonde et lâchez les filets pour la pêche. » Simon répond : « Sur ta parole je vais lâcher les filets ». Et l’abondance de poissons commençait à déchirer les filets.

Comme Simon, nous pouvons être fatigués et dire : « J’ai déjà essayé et cela n’a servi à rien ! J’ai déjà donné ! » Nous avons à faire confiance à Jésus qui nous exhorte à aller plus loin, à avancer, à lui faire confiance.

Il est très rare qu’un conjoint avoue être fatigué de dialoguer. La plupart du temps les échanges sont rapides voire expéditifs. Nous manquons de confiance en l’autre et dans la fécondité du dialogue. La culture familiale y est aussi pour quelque chose. Dans la tradition créole, la mère parle souvent avec les enfants. Qu’il est beau de voir l’enfant raconter sa journée à sa maman au retour de l’école. Qu’il est magnifique d’assister à la prière d’une maman avec son enfant comme j’ai eu l’occasion de le voir, il y a quelques semaines, dans une église de la Réunion. La maman avec son petit enfant s’étaient mis à genoux dans l’allée centrale de l’église, non loin de l’autel. Elle priait à haute voix en demandant à son enfant de reprendre la prière après elle. Les prières étaient belles. Cela a duré un bon moment. J’ai vécu cela comme une grâce. Dieu me donnait d’assister à la transmission de la prière chrétienne de mère en fils. Nous avons besoin de la prière et de la transmission. La foi évangélique se transmet dans la prière. Les Réunionnais aiment prier. Je n’ai jamais vu un Réunionnais se moquer de la prière. Nous avons à évangéliser la prière pour qu’elle ne soit pas une simple prière païenne de demandes d’aide mais qu’elle ressemble à la prière de Jésus à son Père.

En ce qui concerne la communication du père, la culture familiale créole accordait une grande importance à l’autorité du père qui cultivait ce pouvoir par une certaine distance vécue dans le silence. Le père de famille passait souvent par l’épouse pour apprendre la vie des enfants au lieu de dialoguer directement avec eux.

Les nouvelles générations réunionnaises grandissent dans l’expression et le dialogue à l’école en particulier. Il convient d’en faire du neuf et de développer la communication verbale tout en gardant la communication non verbale de l’être et du faire correctement.

Mgr Pierre Claverie, évêque dominicain en Algérie, mort en martyr et déclaré récemment par l’Église, Bienheureux, n’hésitait pas à affirmer qu’il avait besoin de la vérité des autres. Nous avons besoin de la vérité du conjoint et de la vérité des enfants.

Simon qui deviendra l’apôtre Pierre a ressenti son indignité devant la pêche extraordinaire : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ! » Puissions-nous en faire la même expérience du passage du découragement à la foi dans la contemplation des merveilles accomplies par le Christ dans notre quotidien.

C’est ainsi que nous irons « de commencement en commencement par des commencement qui n’ont pas de fin », comme le disait saint Grégoire de Nysse. Par sa foi, Simon est passé de pêcheurs de poissons dans le lac de Galilée à pêcheur d’hommes, d’hommes pécheurs, « de gros poissons » comme on dit par l’annonce de la puissance du Christ Jésus.

Ce que nous sommes, nous le devons à ceux qui nous ont fait confiance : confiance pour nous embaucher dans une entreprise, confiance pour nous aimer, confiance pour nous confier une mission dans l’Église…

Disons merci à Dieu pour ceux qui nous ont accordé leur confiance et qui nous ont fait grandir. Disons merci aussi dans notre prière et par nos moyens de communication à ceux qui ont mis leur confiance en nous alors que ce l’était évident aux yeux humains, en commençant par Dieu lui-même qui compte sur nous alors que nous sommes pécheurs.

Demandons pardon à Dieu pour toutes les fois où nous avons trahi sa confiance.

Demandons pardon à ceux qui ont été trahis dans leur confiance. En tant qu’aumônier de prison, je constate la souffrance des personnes détenues qui ont discrédité leurs familles en trahissant leur confiance.

Parmi les travaux pratiques que nous pouvons mettre en route figure le développement de la confiance du conjoint en lui-même et des enfants en eux-mêmes.

Il est bon de demander à Dieu la confiance en nous-mêmes. Nous entendons souvent dire « je manque de confiance en moi-même ». Nous avons aussi à développer la confiance du conjoint en lui-même au lieu de lui faire peur pour qu’il reste tranquille et obéissant.

Exercice : pour le DSA (« Devoir de s’asseoir ») en couple, il est possible de rédiger chacun de son côté un petit texte sur la confiance en l’autre et de le partager :
– Ma confiance en toi grandit quand tu dis du bien de moi aux autres et en public.
– Ma confiance en toi diminue quand
1)…………………………………….
2)…………………………………….
3)………………………………………….

Enseignement : Autorité et pouvoir : comment harmoniser les relations entre l’homme et la femme ?

Le mari est traditionnellement appelé le chef de famille. Des changements sociaux et économiques remettent souvent en cause ce statut de chef qui évoque pouvoir et autorité.

En quelques décennies la vie et le statut de la femme ont connu plusieurs changements, voire révolutions. La femme occupe des postes de responsabilité professionnelle avec un haut degré de compétences et de rémunération. Elle prend la parole en public en tant que responsable politique, enseignante, journaliste… Si auparavant sa sexualité dépendait en grande partie des hommes, à présent la femme décide librement de sa maternité indépendamment de la volonté du mari ou du compagnon. En un mot, elle est devenue indépendante. Parfois la femme gagne plus d’argent que son mari ou son travail s’avère plus intéressant à tous points de vue que celui de son mari.

Comment évaluer l’importance de l’apport de chaque conjoint ? Quels paramètres et quelles variables faut-il intégrer dans cette relecture ? Quelle valeur accorder au temps investi dans la maison et l’éducation des enfants ? Quelles priorités à respecter dans les emplois du temps de chacun ? Comment concilier liberté, épanouissement et vie commune ?

D’ailleurs, il arrive qu’à la sortie d’un mariage, des amis adultes conseillent la jeune mariée en lui disant : « Reste libre, ne t’attache pas trop à un homme. »

Comment harmoniser le développement personnel, les nouveaux moyens technologiques et les nouvelles mentalités avec le sacrement du mariage qui unit l’homme et la femme en Dieu au point d’en faire une seul corps et une seule âme dans le Christ ?

Précisons d’abord le vocabulaire. Nous avons à distinguer indépendance et autonomie, pouvoir et autorité. Autonomie est un mot d’origine grecque qui exprime le gouvernement de la personne humaine par elle-même : auto-nomos, devenir sa propre loi. C’est-à-dire que la personne devient protagoniste et décideur des choix de son existence. La personne libre devient « cause de soi » comme dit Aristote (322 av. J.C.). C’est le contraire d’exister par un autre sans pouvoir prendre des décisions ; ce qui correspondrait à l’aliénation, « perte de sa maîtrise et de ses forces propres au profit d’un autre ».

En politique, certains pays ont un gouvernement national avec des régions autonomes (parlement, police, impôts, langue propre…). Chaque région garde son autonomie mais elle dépend du gouvernement central avec sa Constitution pour les questions les plus importantes. Nous pouvons penser aux États-Unis, à l’Espagne…

Dans l’anthropologie biblique, Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance : intelligent et libre, créé par amour pour aimer.

Cette autonomie de l’homme et de la femme correspond à la volonté de Dieu. Mais la personne humaine est née dans des relations et ne peut pas vivre sans relations. L’indépendance solitaire ne s’articule pas avec le plan de Dieu : « Homme et femme, Dieu créa l’homme à son image, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). Le Dieu qui s’est révélé dans la Bible n’est pas solitaire mais relation : relation d’égalité, dans la différence et l’amour réciproque, trois Personnes divines, un seul Dieu. Dans le christianisme, le mystère de la Trinité représente la source, le modèle et la finalité des relations humaines, et, en particulier, de la relation de l’homme et de la femme, personnes égales et complémentaires.

Où se situe la source des problèmes ? Dans le désir de domination. Nous n’avons pas attendu Karl Marx pour découvrir les rapports de domination. Ce désir d’asservir l’autre apparaît dès les premières pages du livre de la Genèse, dans la Bible, quand Adam et Ève, la première humanité, voulurent devenir dieux sans Dieu. Ils firent alors l’expérience de la solitude, de la honte et de la concupiscence : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi » (Gn 3,16).

Le désir de dominer l’autre aboutit à la solitude ; c’est pourquoi cette volonté de domination représente un échec à fuir.

Bernard Shaw, écrivain irlandais, a déclaré avec humour : « Dans le mariage il s’agit de ne faire qu’un, le problème est de savoir lequel des deux ! ».

Jürgen Habermas, philosophe contemporain de la communication, rappelle que les guerres qui ont cherché à dépasser les rapports de domination, aussi bien dans le capitalisme que dans le marxisme, n’ont pas réussi. Comme certains le disent avec humour : « Le capitalisme est l’exploitation de l’homme par l’homme ; le socialisme, l’inverse. »

Le mariage n’anéantit pas l’autonomie personnelle mais les projets de chaque conjoint sont orientés au service du « nous », du bien commun du couple et de la famille. Dans le mystère de la Trinité, l’Esprit Saint représente le « nous » silencieux du Père et du Fils qui les unit dans le ciment de l’Amour. La foi chrétienne repose sur Dieu, Un.

Il convient de distinguer aussi autorité et pouvoir. Ces deux mots sont souvent utilisés de manière équivalente. Ici je choisis de les distinguer en accordant au mot « autorité » son sens positif de « faire grandir », d’après son étymologie latine du verbe augere : faire pousser, augmenter. Jésus parlait avec autorité (cf. Lc 4,32 ; Mc 1,22) en auteur à la pensée originelle dans le Père et originale dans son expression et dans sa réalisation. Son enseignement ne relevait du simple commentaire de la Loi de Moïse comme le faisaient les scribes. L’autorité de Jésus se manifestait dans la cohérence de ses paroles et de ses actes. Ce qu’il disait, il l’accomplissait. Ses disciples grandissaient alors en sainteté en faisant l’expérience du Salut et de l’entrée dans le mystère de la connaissance de Dieu.

Le pouvoir est donné par l’institution ; l’autorité, pouvoir moral ou crédit, est accordée par le cœur des personnes qui font, ou pas, confiance à quelqu’un dans l’exercice de sa mission. L’autorité relève de la compétence, de l’honnêteté et de la capacité à faire grandir le bien commun et non seulement l’intérêt personnel.

Et dans le couple, qu’en est-il du pouvoir et de l’autorité ? Qui dit pouvoir dit force, puissance. Le pouvoir dépendra du salaire, des héritages, des connaissances, du statut professionnel, du paraître, du look avec son pouvoir de séduction. Il y a la force musculaire, redoutable quand elle est utilisée pour humilier et blesser le conjoint.

Dans les relations humaines, les rapports de force surgissent rapidement pour voir apparaître des dominants et des dominés. Jésus nous met en garde contre ce désir d’asservir les autres. Il n’est pas venu pour être servi mais pour servir et verser son sang pour la rémission des péchés de la multitude.

C’est dans la communion au Christ Serviteur et Serviteur souffrant que le conjoint parvient à vaincre la tentation d’exercer son pouvoir sur l’autre : pouvoir des richesses, pouvoir du savoir, pouvoir des honneurs, pouvoir du statut social.

La vie conjugale dans le sacrement du mariage n’est pas un long fleuve tranquille mais un combat mené avec le Christ contre la tentation du diable qui cherche à tromper et à manipuler.

Les films et les chansons font rêver d’un amour sentimental, doux et capable de combler la soif de toute personne qui aspire à vivre la grande aventure de l’amour.

Il y a l’amour romantique, beau et voulu par Dieu. Mais il y a aussi l’amour tragique, destructeur, qui rend malade. L’un des conjoints devient alors victime manipulée, impuissante à s’en sortir entre la tentation de fuir, la volonté de rester fidèle et la douleur physique, affective et spirituelle. Le conjoint ressemble alors à une proie qui se blesse en cherchant à se libérer. Il s’ensuit la dépression voire l’internement en hôpital psychiatrique. Hélas ! J’ai rencontré ce cas de figure à plusieurs reprises dans mon ministère de prêtre.

Aimer quelqu’un équivaut à lui donner prise pour vous faire souffrir dans l’attachement et les séparations, déchirures physiques et psychologiques.

Chaque conjoint doit se remettre en cause pour épargner cette tragédie à la personne qu’elle a aimée.

Le couple est appelé à vivre beaucoup de pâques, mot qui veut dire « passage » : passage des actes d’humiliation à des démarches de reconnaissance ; passage de l’indifférence aux attentions envers l’autre.

L’autorité prime sur le pouvoir. L’autorité représente le rayonnement de l’être intérieur, de l’âme, du « moi profond » que la Bible appelle le cœur, comme lieu d’unification de la personne, là où se prennent les grandes décisions et se font les choix décisifs. L’autorité apporte à l’autre conjoint amour, soutien, force, sens.

Dans le DSA (“Devoir de s’asseoir”), le couple doit faire œuvre de discernement pour étudier la différence entre le pouvoir et l’autorité. Sans droiture ni générosité, un conjoint riche en pouvoir économique et politique tombe dans la disqualification et le vide dont parle saint Paul dans le chapitre 13 de la Première épître aux Corinthiens. Je vous invite à évaluer votre amour, votre pouvoir et votre autorité en méditant ce texte souvent choisi lors de la célébration des mariages.

Vous pouvez mettre votre prénom à la place du mot amour ou charité selon les traductions. Cela fait éclater de rire. Ce que nous appelons amour reste loin de l’amour de Dieu.

« L’amour est patient ; l’amour est serviable. L’amour ne jalouse pas. L’amour ne se vante pas, il ne se gonfle pas ; il ne fait rien d’inconvenant ; l’amour ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas ; il ne tient pas compte du mal ; l’amour ne se réjouit pas de l’injustice, mais il met sa joie dans la vérité. L’amour excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.
L’amour ne passe jamais. »


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